CINÉMA - Photographie de cinéma

CINÉMA - Photographie de cinéma
CINÉMA - Photographie de cinéma

Aux tout premiers temps du cinéma, le réalisateur ne se distinguait nullement de l’opérateur, celui qui effectuait physiquement la prise de vues. Louis Lumière tourna lui-même les premiers films Lumière. Mais, dès que l’entreprise cinématographique Lumière prit l’allure d’une véritable firme commerciale, il fallut confier à d’autres le soin de se rendre dans des contrées plus ou moins lointaines pour en rapporter des images que Louis Lumière ne pouvait aller chercher lui-même. C’est ainsi que se développa la fonction d’opérateur, répondant, en premier lieu, à la commande de Lumière-Producteur. Mais, sur le terrain, les opérateurs Lumière cumulaient les fonctions de scénariste (choix du sujet), de metteur en scène (choix du lieu et du point de vue), d’opérateur (choix de la distance et d’un cadre approximatif) et même de projectionniste. La technique se développant (objectifs, pellicules, éclairages artificiels, mouvements d’appareil...), les fonctions se diversifièrent. Mais le principe fondamental du cinéma – la lumière réfractée par un objectif venant impressionner la pellicule – fait du directeur de la photographie ou chef-opérateur le plus important collaborateur de création du metteur en scène. S’il est parfois arrivé à ces magiciens de la lumière d’outrepasser leur fonction et de se croire les véritables maîtres d’œuvre, il faut reconnaître leur importance capitale auprès des plus grands réalisateurs comme la modestie artisanale parfois excessive des meilleurs d’entre eux.

La lumière du jour

La faible sensibilité des premières pellicules (de l’ordre de 6 à 8 ASA) obligeait les opérateurs à travailler à la lumière du jour, même pour filmer des scènes censées se passer en intérieur. Les premiers studios, comme celui de Méliès à Montreuil-sous-Bois, dénommé «atelier de pose», sont d’immenses verrières à l’intérieur desquelles sont élevés des décors de toiles peintes. Les prises de vues ne pouvaient se dérouler, par beau temps, que de onze heures à quinze heures environ. Il faudra une dizaine d’années après les débuts du cinématographe pour que des éclairages d’appoint viennent renforcer (et corriger) la lumière solaire. Cette recherche de la lumière est d’ailleurs à l’origine de l’émigration du cinéma américain, vers 1908, de la côte est à la côte ouest, où s’édifiera Hollywood.

Qu’il s’agisse de réalisme documentaire façon Lumière ou de fantasmagorie façon Méliès, la première lumière du cinéma est donc une lumière naturelle. C’est sans doute dans ces contraintes extrêmes qu’il faut chercher l’origine de la fascination qu’exerce encore aujourd’hui l’image de nombre de films dits «primitifs», et particulièrement ceux de Lumière: «Comme si dans les vues Lumière, écrit Jacques Aumont, l’air, l’eau, la lumière devenaient palpables, infiniment présents.» Il est vrai que l’invention du cinéma répond d’abord à une recherche strictement scientifique de l’analyse du mouvement qui n’a que faire de sa synthèse, et moins encore de quelconques effets esthétiques. En 1899 encore, Étienne Jules Marey, inventeur du fusil photographique et du chronophotographe à bande souple, écrit à propos des photographies animées: «Mais enfin, ce qu’elles montrent, notre œil aurait pu le voir directement. Elles n’ont rien ajouté à la puissance de notre vue, rien ôté de nos illusions. Or le vrai caractère d’une méthode scientifique est de suppléer à l’insuffisance de nos sens ou de corriger leurs erreurs. Pour y arriver, la chronophotographie doit donc renoncer à représenter les phénomènes tels que nous les voyons.» Mais le cinématographe répond en même temps à un vieux rêve de l’humanité, ce que Noël Burch appelle le «le grand rêve frankensteinien du XIXe siècle: la recréation de la vie, le triomphe symbolique sur la mort». Ce que le public vient chercher au cinématographe, ce n’est pas un hypothétique septième art (le terme apparaîtra seulement une quinzaine d’années plus tard, et encore, plus comme prophétie que comme réalité), mais un duplicata du monde.

Il ne faudrait pourtant pas en conclure que les opérateurs de cette époque jouaient uniquement sur la vérité et le naturel. Rien ne les inquiétait plus que la «fausse teinte», c’est-à-dire la brusque perte de lumière due au passage d’un nuage au cours de la prise de vues. D’autre part, la pellicule orthochromatique restituait les couleurs de façon parfois inattendue: le rouge devenait un noir charbonneux, le bleu, un blanc éblouissant. Il fallait donc, au nom de la vraisemblance (et du confort de l’œil), tricher, en utilisant un certain gris, par exemple, pour rendre l’impression d’un blanc acceptable.

La notion de cadre

Parallèlement à la lumière, la photographie de cinéma se définit également par le découpage qu’elle opère dans l’espace, c’est-à-dire le cadre et le cadrage. Si on admire la qualité des images Lumière, on fait tout aussi fréquemment l’éloge de leur cadrage. Or les premières caméras ne comportaient pas de viseur (et encore moins de visée reflex qui n’apparaît qu’au début des années quarante) et les opérateurs ne pouvaient déterminer le champ couvert par la caméra que de façon théorique ou par des méthodes très approximatives. Il importait seulement que l’essentiel de la scène se déroule à l’intérieur de ce champ. L’expérience et la connaissance intuitive des opérateurs Lumière leur permit pourtant très vite de trouver des règles simples de composition qui allaient s’imposer pratiquement sur la totalité de la période muette et souvent bien plus tard, comme la composition triangulaire, présente dès L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat .

La lumière canalisée

Quoique la caméra ait pu être définie, du point de vue purement théorique, comme une machine à reproduire strictement la réalité sans intervention de l’homme (André Bazin, Siegfried Kracauer), il devient très vite évident qu’il n’existe pas de reproduction objective de la réalité, tant sont nombreux les paramètres qui entrent en jeu dans la prise de vues cinématographique: «La notion même d’exposition juste, donc de rendu exact des brillances, est un leurre, écrivent Charlie Van Damme et Ève Cloquet. Aucune pellicule au monde n’est capable d’enregistrer les écarts de brillance que propose la nature et que l’œil peut différencier.» Très rapidement, l’illusion d’une reproduction mécanique du réel se dissipant en même temps que les vues documentaires des premiers temps cessaient de fasciner le public, le cinéma se tourne vers la narration et le drame. Perdant provisoirement sa fonction première de donner à voir le monde et sa lumière sans avoir à en forcer le sens, le film se fit expression d’un projet plus ou moins avoué, et la lumière fut mise peu à peu au service de ce projet signifiant. Plus question de se contenter de la lumière rencontrée dans le monde, il fallait la contrôler, la diriger, la produire. Très rapidement s’instaura un premier code qui régna sur une grande part du cinéma muet: les séquences bleutées sont colorées uniformément en bleu, les séquences dramatiques en rouge, etc. Mais ces procédés simplistes généraux n’étaient rien par rapport à l’ingéniosité déployée par les opérateurs. S’instaurait ainsi une remarquable collaboration entre des réalisateurs et des opérateurs, les seconds réalisant techniquement ce qu’imaginaient les premiers. L’une des plus fructueuses de ces collaborations s’établit entre David Wark Griffith et l’opérateur Billy Bitzer. D’abord réputé pour la qualité de son image – luminosité et clarté, piqué de l’objectif –, c’est en 1909 qu’il utilise pour la première fois un effet de contre-jour. Il n’invente pas le gros plan, mais pousse Griffith à le systématiser pour des effets dramatiques. Il invente le principe d’ouverture et de fermeture de l’iris et, par là, du fondu, ainsi que celui du soft-focus (trame placée sur l’objectif adoucissant les contrastes de la pellicule orthochromatique) comme il expérimente l’éclairage à la bougie plus de soixante ans avant Barry Lindon . Globalement, le couple Griffith-Bitzer invente, de 1909 à 1915, l’éclairage dramatique. Il s’agit, selon Jacques Aumont, de «singulariser certaines zones de l’image, et de la scène, par un éclairage approprié, [de] souligner significativement certains éléments, [...] d’échapper avant tout à la malédiction de l’éclairage «plat», sans contrastes ni possibilités de différenciations, auquel semblait condamner le type de sources lumineuses d’abord disponibles». Mais les recherches de cette période ne sauraient se réduire aux films de Griffith. Pour beaucoup, les recherches lumineuses trouvent leur origine dans une intention symbolique, voire fantasmagorique, issue du théâtre ou de la peinture académique religieuse, telle l’apparition d’un ange dans La Case de l’oncle Tom de E. S. Porter (1903): la lumière céleste est apparemment empruntée à la lumière du jour, tandis que l’autre source d’éclairage (une fenêtre peinte) est signifiée par des rayons dessinés à même le décor. En Italie, l’abandon des décors de toiles peintes, vers 1910, au profit de décors en volumes transforme radicalement la conception de l’éclairage. Dans Cabiria de Giovanni Pastrone, l’opérateur Segunda Chomon mêle mouvements de caméra, montée sur un chariot, et effets de contre-jour. En 1915, dans The Warrens of Virginia , Cecil B. De Mille brise un tabou en jouant, avec son opérateur Alvyn Wyckoff, d’effets de lumière fortement contrastée sur le visage de ses actrices pour refléter, à la manière de Rembrandt, disait-il, leur drame intérieur.

La dramatisation de l’image

C’est autour de 1915 que se généralise la possibilité de recourir entièrement à l’éclairage artificiel. Il n’est guère surprenant alors que ce ne soit plus sur la côte ouest des États-Unis que se produisent de véritables révolutions en matière de photographie mais dans des pays moins favorisés par l’ensoleillement, comme les pays nordiques et l’Allemagne. L’expressionnisme allemand fut en effet la première grande école cinématographique à donner à la lumière une importance capitale. À l’origine de la lumière expressionniste, on trouve d’ailleurs, comme le note Lotte Eisner, aussi bien les expériences théâtrales berlinoises de Max Reinhardt que les cinéastes nordiques: «Lorsque le cinéma devint un art, il était tout naturel qu’il profitât des découvertes de Max Reinhardt, qu’il utilisât le clair-obscur, qu’il montrât, tombant d’une haute fenêtre, ces nappes de lumière dans un intérieur. [...] Ce célèbre clair-obscur du cinéma allemand n’a pas pour seule origine le théâtre de Max Reinhardt. Ne négligeons pas l’apport des cinéastes nordiques et surtout danois, qui envahirent les studios allemands, tels Stellan Rye, Holger Madsen ou Dinensen. Ils y apportèrent, avant même que le style expressionniste ne soit défini, leur amour de la nature et leur goût du clair-obscur.»

La lumière expressionniste est la conjonction de la tradition romantique de la lumière goethéenne, «lumière vivante», «habitée» comme le rappelle Fabrice Revault d’Allonnes, «qu’exacerbe encore le contexte historique» de la Première Guerre mondiale, et d’une évolution de la technologie des éclairages permettant de recréer totalement, à la façon d’un démiurge, la lumière de l’univers du film: les arcs Kliegl, venus du théâtre, équipés de miroirs à facettes, complètent les lampes à mercure qui ne produisaient qu’une lumière d’ambiance. La possibilité de diriger les faisceaux lumineux, de les élargir ou de les concentrer permettait de créer des ombres et des contrastes inédits tant sur les visages ou les corps que sur les décors, les objets ou l’espace. L’utilisation dramatique, voire métaphysique, de la lumière (la lutte des Ténèbres et de la Lumière dans le prolongue du Faust de Murnau, par exemple) était née. Rudolf Kurtz pouvait écrire en 1929: «C’est l’aspect différencié des sources de lumière qui donne à l’art cinématographique sa force créatrice. Des moyens d’éclairage tels que le degré d’intensité et l’effet actinique de la source de lumière sont des facteurs stylistiques de premier ordre. Si l’on place la source de lumière pour ainsi dire au-dessous de la surface à filmer, certaines parties de l’image prennent des accents contrastés et criards, des ombres très nettes, un effet qui rend ces parties plastiques et estompe d’autres, qui disperse les lignes et/ou les raccourcit. [...] La lumière a insufflé une âme aux films expressionnistes.» Dans des cas limites, la lumière suffit alors à sculpter un visage ou créer un décor. C’est à l’évidence dans le studio que la lumière expressionniste trouve son plein épanouissement, ce que confirme le Kammerspiel , sorte d’expressionnisme intimiste.

Pourtant, certains cinéastes, tel Murnau (et son chef opérateur Karl Freund), sauront transposer de façon convaincante les principes dramatiques de la lumière expressionniste dans des décors naturels (certains plans de Nosferatu , par exemple). Progressivement, chassés par la montée du nazisme, les Allemands s’exilent à Hollywood: les réalisateurs F. W. Murnau, Fritz Lang, G. W. Pabst, mais également les prestigieux chefs opérateurs de l’expressionnisme, Karl Freund, Fritz Arno Wagner, Eugen Schüfftan. Ils vont pour un temps transposer leur style dans les productions hollywoodiennes dont les visées sont d’ailleurs du même type: la dramatisation de l’image, donc de la lumière. De leur côté, les Suédois attirés à Hollywood révélèrent la fonction de la lumière sur le visage des stars, sa capacité de les illuminer d’une aura mystérieuse. Moritz Stiller y amena Greta Garbo. La star resta, comme le procédé. Le réalisateur repartit mourir chez lui. L’éclairage des visages des stars devint une des qualités essentielles d’un chef opérateur, et certaines stars ont leur opérateur attitré qui garde jalousement ses secrets: Lee Garmes pour Marlène Dietrich ou William Daniels pour Greta Garbo.

Deux bouleversements: le son et la couleur

À l’aube des années trente se produisit une importante révolution dans la photographie de cinéma. D’abord l’arrivée du son, qui amenait les chefs opérateurs (et un ou deux assistants) à s’enfermer dans des cabines roulantes et limitait considérablement la mobilité de la caméra. Le développement des recherches dans la dramatisation de la lumière se trouve en outre amoindri par le fait que l’on peut désormais exprimer une grande part du drame par le dialogue et la musique: le rôle des chefs opérateurs s’en trouve nettement amenuisé et l’impact de l’image sérieusement réduit. L’image expressionniste recule d’autant plus qu’une nouvelle pellicule à émulsion rapide, la panchromatique, s’impose entre 1925 et 1930. Si elle ne titre que 10 ASA à l’origine, 20 dans les années trente et 80 dans les années quarante et nécessite encore beaucoup de lumière, elle est sensible à toute la gamme chromatique et capable de rendre toutes les nuances de gris. Le temps des contrastes violents est passé, et le vrai classicisme s’impose avant de sombrer dans un certain académisme. L’image de cinéma ne renonce nullement à la dramatisation, mais dans un cadre plus réaliste aux effets mesurés.

Le cinéma hollywoodien de l’âge classique, c’est-à-dire des années trente aux années cinquante, incarne parfaitement les trois principes de la lumière classique tels que les définit Fabrice Revault d’Allonnes: «Dramatisation, hiérarchisation, lisibilité», auxquels répond le plus répandu des principes d’éclairage (pas seulement hollywoodien), l’éclairage trois points : «dramatisation par une attaque marquée, hiérarchisation entre l’attaque centrée sur l’acteur, le contre-jour pour lui donner du relief et/ou l’éclairage latéral pour le sculpter davantage, l’ambiance enfin pour assurer la lisibilité du fond...». Ces principes généraux largement répandus n’empêchent pas chaque chef opérateur de développer son propre style, d’imprimer sa marque, en relation évidemment avec le type de film: on n’éclaire pas un western comme une comédie musicale. Seule de toutes les grandes firmes hollywoodiennes, la M.G.M. imposa à ses opérateurs un style commun, le soft focus , image de marque du studio qui ajoutait, à l’élégance des décors et des costumes, une clarté et une douceur générales des lumières et des gros plans satinés destinés à embellir les actrices. Joseph Ruttenberg, vingt-huit ans directeur de la photographie à la M.G.M., en fut le principal organisateur.

Un autre événement capital marque encore l’histoire de l’image du cinéma classique, l’apparition de la couleur. Vers 1935 se développe le procédé Technicolor (né en 1915) qui restera dominant jusqu’au milieu des années cinquante. S’il présentait, au début surtout, d’importants inconvénients (énorme caméra, distorsions chromatiques, faible titrage – 8 ASA – nécessitant beaucoup d’éclairage), il vint largement renforcer la fonction dramatique de l’image cinématographique. L’Eastmancolor, généralisé au cours des années cinquante, opéra la même révolution que le remplacement de la pellicule orthochromatique par la panchromatique: un rendu en apparence plus «réaliste» parce que restituant une plus grande gamme de couleurs.

Si les progrès du noir et blanc et de la couleur permettront plus tard une mutation du cinéma, on ne peut nier qu’ils entraînent peu à peu l’image de cinéma vers une standardisation sclérosante qui va se révéler particulièrement significative en France. Le seul mouvement esthétique français apparu entre la fin des années vingt et la Nouvelle Vague, le réalisme poétique, se caractérise par un style photographique d’une rare pauvreté d’imagination, malgré de très grands chefs opérateurs, dont certains venus d’Allemagne, comme Eugen Schüfftan ou Curt Courant. Tous les effets de lumière se réduisent à la reprise des procédés de l’expressionnisme. Dans les années quarante et surtout cinquante s’installe un académisme marqué par l’obsession de la lisibilité: l’éclairage de l’acteur prime sur celui du décor, absence de relief, hantise de l’ombre et de l’obscurité.

Retour à la lumière naturelle

En 1940, avec son opérateur Gregg Toland, Orson Welles revenait à la fois à un certain expressionnisme de la lumière, mais en transformait le sens totalitaire par le recours au plan-séquence et surtout à la profondeur de champ. Ce dernier procédé, le plus important, permettait, à l’aide de nouveaux objectifs, de retrouver une netteté à tous les niveaux de profondeur de l’image et de redonner le sentiment au spectateur de ne plus être enfermé dans un réseau de pressions dramatiques et signifiantes auxquelles il ne pouvait échapper. Mais la véritable révolution fut d’abord apportée par le néo-réalisme italien, puis par la Nouvelle Vague française. Les Italiens, par le simple fait de tourner dans la rue, retrouvaient les aléas de la lumière du monde, une lumière qui n’est dotée, a priori, d’aucune intention dramatique ou signifiante. Ce qui n’était que nécessité devient vertu chez Godard, Truffaut, Rivette, Rohmer. Les grands opérateurs de la Nouvelle Vague, de Raoul Coutard à Nestor Almendros, ont pour idéal de ne pas éclairer du tout et pour principe pratique d’éclairer le moins possible, ce qui implique des conditions de tournage et des lieux qui le permettent. L’apparition de caméras légères et de pellicules ultra-sensibles permet cette évolution, par ailleurs largement influencée par le développement de la télévision. Mais il s’agit moins d’une question de style, de réalisme ou de naturalisme en réaction contre l’académisme des années cinquante, que d’éthique: ne pas contredire la lumière du monde, placer l’action dramatique dans la lumière – indifférente, insignifiante – où elle se déroulerait dans la réalité. S’il y a nécessairement intervention de l’opérateur – tant pour le cadre que pour la lumière apportée –, c’est dans un pur souci de lisibilité et en tout cas jamais pour contredire massivement la lumière naturelle, celle-là même qui faisait l’admiration innocente des spectateurs des films Lumière. Le principe défini par Nestor Almendros, en particulier dans les films d’Éric Rohmer (La Collectionneuse , La Marquise d’O , Pauline à la plage ...), consiste à respecter au maximum les sources naturelles d’éclairage en évitant toute lumière qui n’appartiendrait pas au monde du film.

Qu’en est-il de l’image aujourd’hui? Quelle que soit la beauté apportée par l’image moderne de la Nouvelle Vague, qui a influé sur une grande part du cinéma mondial, du Japon aux États-Unis, elle a eu et a, de plus en plus, ses détracteurs: on lui reproche un effet d’aquarium, une source unique de lumière qui empêche toute hiérarchisation, limite la dramatisation et renvoie plus à la banalité du monde quotidien (l’image sale ) qu’elle ne suscite l’imagination. On a vu ainsi se développer au cours des années quatre-vingt en France ce qu’on a appelé la nouvelle image , retour violent à l’artifice, représenté par des chefs opérateurs tels que Ghislain Cloquet ou Pierre-William Glenn, voire Bruno Nuytten. Aux États-Unis, la réaction au retour d’un relatif réalisme de l’image est marquée par le recours aux effets spéciaux qui ne relèvent plus directement du travail des opérateurs et de l’image strictement cinématographique, mais des laboratoires et de l’image électronique. Faut-il parler, après une période classique et une étape moderne, de post-modernité? Mais, à un certain degré de sophistication électronique, s’agit-il encore de cinéma?

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем сделать НИР

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Cinema — Cinéma Pour les articles homonymes, voir cinéma (homonymie) …   Wikipédia en Français

  • CINÉMA - Techniques — Avant de devenir un art et une industrie, le cinéma est une somme de techniques. Du XVIIIe siècle à nos jours, mais surtout au XIXe siècle, une suite de découvertes aboutit à la mise au point des premières caméras. Par un brevet en date du 13… …   Encyclopédie Universelle

  • PHOTOGRAPHIE (sociologie et esthétique) — Le statut esthétique de la photographie apparaît d’une exceptionnelle ambiguïté. Elle n’a donné lieu à aucune grande théorie générale, mais elle est le fait autant d’esthéticiens que de praticiens professionnels. L’expression même de «belle… …   Encyclopédie Universelle

  • PHOTOGRAPHIE — La perception de l’apparence du monde matériel par notre organe visuel a comme support la lumière visible ou les autres radiations électromagnétiques, rendues visibles par l’intermédiaire de phénomènes auxiliaires. L’emploi direct de l’ensemble… …   Encyclopédie Universelle

  • Cinema sonore — Cinéma sonore Cinéma …   Wikipédia en Français

  • Cinéma Sonore — Cinéma …   Wikipédia en Français

  • Cinéma parlant — Cinéma sonore Cinéma …   Wikipédia en Français

  • Cinema italien — Cinéma italien L’histoire du cinéma italien commença quelques mois après que les Frères Lumière eurent créé le cinématographe et plus précisément avec les quelques secondes de film dans lequel le Pape Léon XIII bénissait la caméra. Sommaire 1… …   Wikipédia en Français

  • Cinéma Italien — L’histoire du cinéma italien commença quelques mois après que les Frères Lumière eurent créé le cinématographe et plus précisément avec les quelques secondes de film dans lequel le Pape Léon XIII bénissait la caméra. Sommaire 1 Premières années …   Wikipédia en Français

  • Cinema albanais — Cinéma albanais Longtemps confiné dans son isolement géo politique, le cinéma albanais a fait de brèves apparitions dans quelques salles et festivals spécialisés[1], mais n’a véritablement retenu l’attention des médias occidentaux qu’au début des …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”